Madame Nathalie Ahanda, experte dans le domaine de l’éducation, nous a accordé une interview, dans laquelle, elle aborde les défis que rencontrent les familles africaines en France, notamment l’échec dans l’éducation des afrodescendants.
Bonjour madame Ahanda, pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
Je suis Nathalie Ahanda, consultante en éducation, enseignante, coach en parentalité et fondatrice de Ahanda Global Education.
Mon parcours s’articule autour de l’éducation, des droits humains et des politiques
publiques, avec plus de 10 ans d’expérience internationale dans des institutions comme l’Organisation Internationale technologie (OIT), le Programme Nations Unies Developpement (PNUD) ou le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme (OHCHR).
Mon engagement est clair : offrir des outils concrets pour favoriser l’égalité des chances, en particulier pour les jeunes issus de la diaspora africaine et leurs familles.
Je suis aussi autrice de plusieurs ouvrages dont Éduquer vos enfants sans se ruiner : Investir intelligemment dans l’éducation des enfants ; Le Guide des prénoms africains et Le guide des noms et des surnoms du Cameroun, des projets éditoriaux qui traduisent mon attachement profond à l’Afrique, à sa diaspora et à la valorisation de nos héritages culturels.
Quel est l’objectif du coaching en parentalité ?
Le coaching parental que je propose est à la fois pragmatique, affectif et enraciné dans des réalités culturelles souvent complexes. Il s’adresse à des familles (africaines, asiatiques, européennes) qui évoluent dans un monde en perpétuelle mutation, avec des repères parfois flous, des attentes parfois contradictoires, et une pression constante sur la réussite.
Mon objectif, c’est d’offrir un cadre, des outils, un espace d’écoute… mais surtout une stratégie. Parce qu’éduquer aujourd’hui ne s’improvise plus. C’est un véritable projet familial.
Les parents que j’accompagne comprennent vite qu’au-delà des conseils du quotidien, il y a dans mon approche une dimension stratégique, à laquelle ils doivent pleinement adhérer pour soutenir l’avenir de leurs enfants.
Le monde change vite. Les métiers de demain ne ressembleront pas à ceux d’hier. Et les leaders de demain seront ceux qui auront été formés non seulement à s’adapter, mais aussi à penser, à anticiper, à se réinventer.
Cela demande aux parents une vision. Une capacité à transmettre des valeurs durables : la discipline, l’éthique, l’amour du travail bien fait, le respect des autres et de soi-même. Mais cela demande aussi des choix concrets, parfois difficiles.
Mettre en place une stratégie éducative cohérente, organiser le temps familial autour des priorités éducatives, choisir des activités qui enrichissent vraiment l’enfant, plutôt que de céder à la pression du moment ou à l’effet de mode.
Le coaching parental, tel que je le conçois, ce n’est pas du “développement personnel pour parents”.
C’est un levier d’émancipation, un outil d’action, une manière d’aider les familles et en particulier, les familles africaines ou afrodescendantes, à reprendre toute leur place dans la trajectoire éducative de leurs enfants, avec fierté, lucidité et ambition.
En tant que coach en parentalité, quels sont les défis que rencontrent les familles africaines en France ?
Le premier défi, c’est sans doute le décalage profond entre les valeurs éducatives portées par de nombreuses familles africaines et les attentes implicites du système scolaire français. Beaucoup de parents veulent sincèrement la réussite de leurs enfants, mais manquent de clés pour comprendre comment ce système fonctionne, quels en sont les codes, les attendus, les leviers.
Ce manque d’information, couplé à une forme d’isolement silencieux, rend
l’accompagnement parental plus difficile, voire inexistant dans certains cas.
Mon rôle, dans ce contexte, c’est justement de recréer du lien, de faire le pont entre les cultures éducatives, et de rendre accessibles des stratégies concrètes, même avec des moyens modestes.
Mais au-delà du système scolaire, il faut aussi parler de structuration familiale. Dans de nombreux foyers africains, la configuration familiale n’est pas toujours alignée avec les exigences éducatives du pays d’accueil.
Les études montrent que dans les familles où les enfants accèdent aux filières d’excellence, les parents jouent un rôle actif et constant : ils accompagnent les enfants à leurs activités extrascolaires, investissent dans des cours de soutien, participent à la vie scolaire.
Or, chez beaucoup de familles africaines, ce lien avec l’école est souvent limité à des situations conflictuelles. La participation aux réunions, aux conseils de classe, ou aux associations de parents reste marginale. Et très peu ont les moyens ou la culture éducative d’investir dans des cours particuliers, pourtant très courants dans d’autres
communautés. Même les activités extrascolaires sont sous-exploitées : en dehors du football, peu d’enfants africains sont inscrits à des activités qui valorisent un dossier scolaire, alors qu’elles peuvent jouer un rôle décisif dans l’orientation.
À cela s’ajoute un partage des ressources financières entre la France et le pays d’origine. Beaucoup de familles continuent à investir dans la construction d’une maison “au pays”, dans l’idée d’un retour souvent idéalisé. Cette projection, bien que légitime, se fait parfois au détriment d’investissements éducatifs ici et maintenant. Cela a un coût invisible, mais bien réel pour les enfants.
Enfin, il faut parler de la monoparentalité, très présente dans les familles afrodescendantes. Le poids repose souvent sur les épaules des mères, qui doivent jongler entre plusieurs emplois, les responsabilités du foyer et les attentes éducatives. Cela accentue les difficultés à être présentes, à suivre la scolarité de leurs enfants, à s’impliquer dans les parcours éducatifs.
On ne peut pas ignorer non plus que ces familles comptent parmi les plus touchées par la précarité. Or, en France, la réussite scolaire reste fortement corrélée au niveau socio-économique. Les enfants issus de milieux favorisés ont plus de chances d’accéder aux formations sélectives, non parce qu’ils sont plus doués, mais parce que leurs parents connaissent mieux le système, savent activer les bons leviers au bon moment.
Un jeune de 17 ans est mort lors d’un affrontement entre gangs rivaux devant un lycée
dans l’Essonne. On constate l’augmentation de rixes entre afrodescendants en France. À qui la faute ?
Les parents ont-ils échoué ?
Parler d’échec parental serait trop facile. Trop simpliste. Ce que nous observons aujourd’hui est le résultat d’un enchevêtrement de facteurs bien plus complexes : la montée des inégalités sociales, le racisme systémique, le manque de repère de ces jeunes, le désengagement des politiques publiques sur certains territoires, la montée
inquiétante de l’extrême droite en Europe et en Amérique du Nord, et une récession mondiale qui aggrave les fractures sociales déjà béantes.
Les jeunes afrodescendants impliqués dans ces violences sont souvent les révélateurs d’un système qui les invisibilise, qui ne leur offre ni ancrage, ni perspective.
Non, toutes les familles ne sont pas démissionnaires. Certaines sont dépassées par un environnement hostile, qui ne les reconnaît pas, qui ne parle pas leur langage, et dans lequel elles peinent à transmettre les repères fondamentaux.
Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de responsabilité parentale. On ne peut pas fermer les yeux. Être parent, c’est aussi rester vigilant aux signaux faibles dès l’enfance, c’est encadrer, poser des limites, guider malgré les difficultés.
Dans certains cas, ce sont des signaux d’alerte manqués très tôt, un relâchement progressif, parfois encouragé par la fausse impression que “le système occidental s’occupera de tout”. Or, ces enfants vivent dans des quartiers où ils sont majoritaires mais profondément marginalisés. La rue devient parfois plus présente, plus influente que le foyer familial.
En tant qu’enseignante, avez-vous été témoin d’actes de violences entre afrodescendants dans des
établissements scolaires ?
Pas directement, mais cela s’est produit dans certains établissements où j’ai enseigné. Cela dit, ces actes n’étaient ni plus fréquents ni plus graves que ceux impliquant d’autres groupes d’élèves. La plupart du temps, il s’agissait de
conflits interpersonnels, et non de tensions liées à l’ethnicité.
Cela étant dit, la violence qui touche certains jeunes afrodescendants dans les territoires les plus défavorisés m’interpelle profondément.
Car ces violences ne sont jamais anodines. Elles sont souvent l’expression d’un mal-être, d’un déracinement, d’un vide identitaire et d’un manque cruel de projection d’avenir.
Certains jeunes se battent parce qu’ils n’ont pas encore trouvé les moyens de se construire. Ils vivent dans des environnements marqués par la précarité, parfois avec des parents accaparés par les urgences du quotidien, et une école qui, il faut bien le dire, n’a pas été conçue pour eux, et qui peine encore à s’adapter à leurs réalités.
Je milite donc pour que les parents reprennent pleinement leur place d’éducateurs. Trop souvent, en arrivant en Occident, certaines familles africaines se reposent entièrement sur l’école, pensant que le système ici est plus protecteur ou plus accessible que dans leur pays d’origine. C’est une erreur. L’école instruit, mais elle n’éduque pas à la place des familles. Et cela, nos traditions africaines nous l’enseignent depuis toujours : éduquer, c’est encadrer, transmettre, guider, chaque jour, en actes et en paroles.
Vous accompagnez aussi des élèves afin qu’ils puissent intégrer des universités d’élites. Qu’est-ce qui différencie
ces universités des autres ?
Ces universités ne sont pas uniquement des lieux d’apprentissage, ce sont de véritables fabriques d’influence. Elles façonnent les décideurs de demain, les esprits qui orienteront les politiques, les économies, la recherche.
Intégrer Polytechnique, Harvard, Sciences Po ou l’Université de Tokyo, c’est aussi accéder à des réseaux, à des codes, à des opportunités qui transforment une trajectoire de vie.
Mais ces institutions, si puissantes soient-elles, restent encore largement inaccessibles à beaucoup de jeunes, notamment issus de la diaspora africaine.
Ce n’est pas une question de talent (le potentiel est là), mais souvent de
stratégie. Car l’accès à ces écoles se prépare très tôt.
Ce que l’on voit peu, c’est l’investissement silencieux de certaines familles : tutorat intensif dès l’école primaire, cours particuliers, immersion linguistique, activités extrascolaires choisies avec soin pour valoriser un dossier… Ces stratégies sont planifiées parfois 10 ans à l’avance, avec des budgets importants.
Malheureusement, de nombreuses familles n’en ont pas connaissance, ou n’en perçoivent pas toujours l’intérêt.

D’autres, en particulier dans les communautés afrodescendantes vivant en Europe ou en Amérique du Nord, allouent leurs ressources à d’autres priorités, comme la quête d’un emploi stable ou la préparation d’un retour au pays, souvent fantasmé mais peu structuré.
Résultat : l’investissement éducatif stratégique passe au second plan.
C’est là que j’interviens. Mon rôle est de lever les barrières, à la fois psychologiques, culturelles, et logistiques. Je déconstruis les croyances limitantes, je guide les familles vers les bonnes ressources, et j’aide chaque élève à bâtir un projet académique solide, réaliste, mais ambitieux. Je veux qu’ils sachent qu’ils ont leur place dans ces espaces d’excellence. Que leur parcours, leur histoire, leur identité, loin d’être un frein, peuvent devenir des atouts majeurs.
Être afrodescendant et viser l’élite académique, ce n’est pas un paradoxe. C’est une ambition légitime, et une stratégie d’émancipation.
Quels sont les challenges personnels que vous avez rencontrés dans votre profession ?
Être une femme noire, experte en éducation dans un paysage académique majoritairement blanc, c’est rare. Trop rare.
Peu de personnes issues des trajectoires migratoires africaines investissent ce secteur, alors qu’il est crucial pour le devenir des prochaines générations.
Je me suis souvent sentie seule, confrontée à des regards sceptiques, à des institutions rigides.
Mais j’ai choisi de rester, d’occuper l’espace, et de bâtir une expertise qui parle à la fois aux décideurs et aux familles. C’est un combat, mais surtout une vocation.
Une expérience positive que vous avez vécue en tant qu’enseignante ?
Il y en a plusieurs, mais deux me viennent en tête.
La première, c’est l’histoire d’une étudiante congolaise, arrivée en France sans repères, un peu perdue dans le système. Ensemble, nous avons travaillé sur son orientation, affiné son projet professionnel, reconstruit aussi, doucement, son estime de soi. Aujourd’hui, elle est consultante dans un grand cabinet d’audit. Elle me dit souvent : « Vous avez vu en moi ce que je n’osais même pas espérer. » Ce genre de message, c’est mon carburant. C’est ce qui me rappelle, chaque jour, pourquoi je fais ce métier.
Et puis, il y a ce moment, très récent : une étudiante, brillante mais discrète, est venue me voir à la fin d’un cours. Elle n’avait toujours pas trouvé de stage. Un stage pourtant indispensable pour valider son année. Elle m’a demandé de
l’aide, presque en s’excusant. Je crois qu’elle espérait que, parce que je suis aussi une femme noire, je comprendrais.
Et elle avait raison. J’ai mobilisé mon réseau, et en deux jours, elle avait un stage.
Mais cette anecdote est loin d’être isolée : dans toutes les formations où j’interviens, les étudiants issus des minorités sont souvent ceux qui peinent le
plus à accéder aux stages, à l’alternance, ou à un premier emploi.
Ce n’est pas une question de compétences, c’est un problème systémique.
Cela dit, je reste optimiste. Parce que ma présence dans ces espaces, et celle d’autres éducateurs afrodescendants, change déjà les choses.
Elle offre des modèles, bouscule les normes, et rend visible une diversité que le monde professionnel doit apprendre, enfin, à reconnaître et à accueillir.
Un mot pour la fin…
Il est plus que jamais urgent que les jeunes, mais aussi davantage de professionnels afrodescendants, investissent le secteur de l’éducation. Car c’est là, précisément, que se jouent les combats de demain.
Dans un monde marqué par l’instabilité, la montée des extrêmes et une crise économique globale, notre présence dans les espaces éducatifs n’est pas seulement légitime : elle est stratégique, elle est vitale.
Les guerres d’aujourd’hui sont des guerres de savoir, d’accès à la connaissance, d’influence culturelle. Et les nations qui s’en sortent le mieux, celles qui parviennent à sortir des millions de personnes de la pauvreté, à offrir un avenir à leur jeunesse, sont celles qui ont compris que l’éducation est un investissement prioritaire. C’est un enjeu géopolitique. Un enjeu de survie.
Pour les Africains et les Afrodescendants, c’est un secteur à ne plus négliger. Les Nigérians et les Ghanéens l’ont bien compris : ils investissent massivement dans l’éducation de leurs enfants. Ce qu’on appelle le Nigerian Parent Factor est aujourd’hui cité comme un modèle dans de nombreuses études internationales. Et je crois profondément que nous devons nous en inspirer, et aller encore plus loin.
Quant à moi, malgré les défis du quotidien, mon ambition reste intacte.
Je continuerai à bâtir des ponts : entre les familles et les institutions, entre les imaginaires collectifs et les réalités sociales. Et à écrire, toujours, pour que
chaque enfant, et en particulier ceux de la diaspora, puisse tracer son chemin, avec fierté, sans jamais avoir à renier qui il est.
Suivez l‘émission intégrale avec Nathalie Ahanda sur la chaine Youtube Diasporaafricainemedia.
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